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La ballade des grottes ornées

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4 septembre 2019

Rouge Covalanas - Cantabrie

 

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Il pleut sur Ramales de la Victoria, la traîne des nuages s'accroche aux montagnes environnantes que dominent la Peña de la Busta et le Pico San Vincente. Au-dessous des arrêtes rocheuses, une pente arborée, très verte et très raide.

Nous ne sommes que trois, ma fille, la fille de nos amis et moi, je n'ai pas réussi à prendre plus de place, la visite est limitée à sept personnes. D’ailleurs, à l’entrée du chemin d’accès un panneau indique qu'il est inutile de grimper si l'on a pas réservé. Les visites, comme il y a deux jours à El Castillo, sont complètes.

Forcément nous sommes affreusement en avance, je suis incapable de faire autrement. Mais contrairement à El Castillo, il y a une assez grande distance à parcourir entre la route et la grotte elle-même. Un sentier large et terreux sur lequel dévale l'eau de pluie en un petit torrent monte régulièrement sur près d'un kilomètre. Nous croisons, abrités sous nos parapluies, quelques personnes qui descendent, sans aucun doute la dernière visite.

Le caractère sauvage du paysage, la bruine, le silence, tout m'enchante dans cette montée, et comme à chaque fois je me demande si la magie va fonctionner à plein, si les promesses seront tenues, la découverte à la hauteur. J'ai visité ma première grotte ornée en 2006, ce fut Rouffignac, Covalanas est si je ne fais pas erreur la seizième.

Magique, cet automne 1903 le fut assurément où Hermilio Alcade del Rio que les photographies nous montrent comme un savant à barbiche au visage avenant, et qui fut le Breuil de la préhistoire espagnole, découvre coup sur coup, ou du moins invente -et je préfère ce terme qui rappelle que les cavernes étaient connues mais qu'on n'y voyait rien de l'art pariétal, on creusait les sols, on collectait les outillage lithiques- Covalanas le 11 septembre -en compagnie du père Lorenzo Sierra, l'un de ces multiples abbés dont l'exploration des cavernes ornées se nourrit, qui était professeur au collège de Limpias quelques kilomètres au nord- puis Hornos de la Peña le 27 octobre, et enfin El Castillo le 8 novembre, trois sites majeurs de l'art cantabrique.

Hermilio n'avait pas quarante ans, archéologue, il était venu à l'art pariétal l'année précédente lors d'une exploration d'Altamira en compagnie de Breuil justement et d’Émile Cartailhac l'autre grand préhistorien du début du vingtième, celui même qui avait réfuté en 1879 l'authenticité des peintures d'Altamira avant de se raviser en 1902 dans son « Mea Culpa d'un sceptique ».

Tout était neuf, pas même vingt-cinq ans que Sautuola avait découvert les bisons, on l'avait traité de faussaire et il en était mort en 1888. La Mouthe et Pair-non-Pair avaient moins de dix ans et les sceptiques étaient encore les plus forts. Ce n'était qu'en septembre 1901, deux ans à peine auparavant, que les découvertes successives des Combarelles et de Font de Gaume avaient d'évidence montrée l'authenticité de l'art pariétal.

C'est à quoi je songe en gravissant la pente qui mène aux parois de Covalanas. Les filles derrière grommellent, maudissant dévers et grotte sous leur parapluie. Nous atteignons un replat, une pancarte explique le vaste panoramique bouché par les nuages qui s'étire devant nous. Le chemin bordé d'une barrière finit dans la falaise. Collée aux rochers, une structure étrange faite de bois vernis et de métal, sorte de double hutte trapézoïdale, sert d'accueil. Une jeune fille nous souhaite la bienvenue et nous propose d'entrer, une deuxième est à l'intérieur, où se trouvent aussi les toilettes et l'espace de vente qui dans les grottes de Cantabrie propose toujours les mêmes livres, les mêmes breloques, reproductions de Vénus ou d'art mobilier, flèches, silex, bois gravés en résine.

Il faut attendre un peu, nous dit-elle, une famille va nous rejoindre.

 

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J'en profite pour ressortir. Les arbres dégouttent lentement et la falaise fait un nez qui cache l'entrée de la grotte. Là se trouve la bouche, l’entrée de la caverne, une grille, un mur sur toute la largeur et deux portes vertes. Celle de gauche ferme la Galerie de la Musique, ainsi nommée parce qu'elle a servi il y a plus d'une trentaine d'années de lieu se spectacle pour le Festival International de musique classique de Santander.

Dans cette galerie longue de 85 mètres et qu'on ne visite pas, la seule trace d'art pariétal est une sinueuse ligne rouge.

À la porte de celle de droite, la Galerie des Peintures, sont suspendues trois torches qui rappellent que la grotte n'est pas électrifiée et se visite en quelque sorte dans son jus. Cette porte est encadrée de deux plaques, l'une imposante, dorée, indique que l'art paléolithique Cantabrique a été classé patrimoine de l'humanité en 2008, l'autre, plus terre à terre, signale le sol glissant à l'intérieur de la cavité.

Cette entrée modeste et belle me fait penser à Pair-non-Pair.

Nos compagnons de grotte se faisant attendre, et pour ne pas décaler les horaires, notre jeune guide décide de commencer. Elle ne parle pas français et s'en désole alors que son espagnol, clair et concis ne sera jamais un handicap durant l'heure et demi que durera la visite. Avec nous, elle prendra tout le temps nécessaire pour expliquer chaque peinture. Contrairement à El Castillo, je ne ressentirai jamais de frustration dû au rythme imposé, peut-être parce que Covalanas, la grotte des biches rouges est une sorte de couloir d'une centaine de mètres où seul une vingtaine de figures sont visibles, aisément identifiables et d'une unité remarquable car toutes d'une même couleur, utilisant la même technique, et l’œuvre d'un unique artiste pense-t-on.

Nous passons la grille, elle me tend une des torches et ouvre la petite porte qui protège l'accès. La salle est basse, au même niveau que l'entrée, sans concrétions particulières, y dominent des gris, des jaunes et quelques taches noires témoignages d'occupation du bas moyen-âge aux guerres carlistes du XIXéme .

À l’entrée, on a maçonné en petites pierres plates, un puits de drainage sensé recueillir l'eau qui s'infiltre lors des périodes de pluies, mais aujourd'hui la grotte me paraît sèche. On distingue, faisant le tour de la salle, la ligne plus sombre de la hauteur du sol à la découverte de la grotte. Il a très peu été remanié, ici dans l'entrée on a excavé un mètre d'épaisseur, mais au-delà, il est à la hauteur où il était lors de la réalisation des peintures, et au pied de la roche il est parfois intact et d’origine.

Dans l'épaisseur du sol excavé on n'a pas trouvé grand chose en terme de silex ou d'os, Covalanas n'était pas une grotte d'occupation mais plutôt un sanctuaire. La grotte d'occupation, on l’a vu, est à peine plus bas sur la falaise, c'est El Mirón.

Par un étranglement, nous pénétrons dans une deuxième salle. Dans celle-ci, encore peu profonde, beaucoup de traces noires sur les parois et au centre, deux curieux stalagmites font comme des piliers naturels. Pas encore de peintures pariétales. C'est le moment que choisissent les retardataires, une famille avec enfants pour nous rejoindre, et ça tombe bien, dit la guide, puisque c'est maintenant que nous allons découvrir l'art de Covalanas.

Dans le couloir que fait la grotte, en une quinzaine de mètres à peine, est concentré l'essentiel des œuvres. La guide nous arrête pour la première fois, nous place de façon à voir la paroi de droite. Nous avons parcouru environ soixante mètres depuis l'ouverture, la grotte couloir n'est plus large que de deux mètres, c'est peu, mais ça laisse encore de recul pour examiner un côté puis l'autre.

Ce qu'elle nous montre, ces tracés à hauteur d'homme de couleur rouge très estompés à cet endroit, on y reconnaît immédiatement deux quadrupèdes l'un derrière l'autre, leur long cou est tourné vers les profondeurs de la grotte mais le premier que nous apercevons semble le relever et humer l'air, observer le danger environnant tandis que celui qui précède, dont la ligne du cou est indistincte du dos regarde vers le sol. Les têtes sont très visibles, fines, le museau allongé et les oreilles dressées que je pense alors être des bois parce qu'elles sont représentées simplement d'un signe V. Pas de pattes, juste la ligne du dos, parfois la croupe, et l'utilisation des formes et des saillies de la roche pour compléter le dessin, imaginer les membres inférieurs ou la ligne du ventre. Comme souvent la place, la position de l'animal n'est pas choisi au hasard, l'artiste nous révèle une forme déjà inscrite dans la roche, tout au plus il lui permet de surgir, d'être visible. Cet art est un art de voyant et en Cantabrie, il y a vingt mille ans, on voit surtout des biches, ce sont elles que l'on trouve très majoritairement dessinées dans les grottes à pointillés rouges, elles et parfois un cheval, un bovidé... un bestiaire finalement très restreint.

Même si le tracé rouge a perdu de son intensité on comprend immédiatement la technique utilisée, celle du trait ponctué que l'on retrouve dans plusieurs autres grottes cantabriques et qui d'après les spécialistes est spécifique à la région. Précisément, du pigment rouge obtenu par l'oxyde de fer, appliqué avec les doigts ou muni d'un tampon, en une ligne de points plus ou moins rapprochés. Parfois la ligne semble continue. Parfois les points sont assez espacés, mais toujours de de façon à rendre la figue lisible. C'est donc des silhouettes sans détails intérieurs que nous voyons, et la guide nous montre une reproduction de lampe à graisse avec laquelle on s'éclairait il y a vingt mille ans. Elle imite avec sa lampe ce que devait être la lumière vivante sur la roche. J'ai souvent vu les guides faire comprendre combien l'image fixe pouvait se métamorphoser en animations et en mouvements sous l'effet de l'éclairage donnant aux dessins des caractères quasi magiques, l'apparition, la disparition, l'immobilité et la mobilité. Des ombres sur un mur ; les ombres bougeaient, mais le mur restait impénétrable1.

À l'invitation de notre guide, c'est nous qui bougeons mais à peine. Elle nous dispose en prenant toujours soin de la visibilité de chacun, des jeunes enfants en particulier. Elle demande si nous distinguons bien l'animal, si nous comprenons ses explications.

Ici contrairement à El Castillo, il n'y a pas de filet de protection au-devant des zones ornées, il faut toujours prendre garde de ne pas se frotter aux lignes rouges, ce qui explique le faible nombre de visiteurs admis dans la grotte.

Les dessins rouges de Covalanas se succèdent en un si petit espace, que j'ai dû mal aujourd'hui, dans le temps d'écriture qui n'est jamais celui de la visite, à me souvenir précisément de l'ordre des apparitions. Les spécialistes décrivent d'abord toutes les peintures de la paroi droite, puis celles de la paroi gauche et du diverticule, mais pour les amateurs dont je suis, le parcours rebondit comme une balle d'un côté à l'autre en avançant peu à peu vers les profondeurs.

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Nous changeons donc de paroi, nous tournant cette fois-ci sur notre gauche, pour découvrir très distinct, d'un rouge autrement intense, ce que je lis immédiatement comme un aurochs de profil bien que l'identification ait posé de nombreux problèmes, les uns voyant un cerf, les autres plus nombreux un renne. Ce qui est remarquable dans cette peinture, qui a plus d'un mètre de large, c’est l’utilisation du support naturel. Une lame de roche se détache de la paroi et le contour l'intègre à la perfection pour le dos et l'arrière-train de l'animal, l'effet de relief est saisissant, le support donne naissance au dessin. L'aurochs est traité en perspective, le ventre souligné par une double ligne de pointillés rouges, et l'on distingue les quatre membres inférieurs. La tête massive est penchée en avant, l’œil et le maxillaire sont visibles ainsi que la paire de cornes. Contrairement aux biches, l'intérieur du dessin est travaillé, une zone près du cou de l'animal est tamponnée de pointillés espacés, comme s'il y avait là une différence de couleur de robe a indiquer.

Les deux biches qui se trouvent à peine plus loin, sur le même côté gauche et regardant comme l'aurochs en direction de l'entrée de la grotte semblent d'un coup très primitives, presque grossières. Il y a bien un œil rond sur celle du bas mais seulement le cou, le dos, la ligne du ventre presque effacée. Quant à la biche du dessus, son cou est dressé verticalement en prolongement d'un corps énorme disproportionné, avec de minuscules pattes en pointillés. Le corps épouse la roche bombée à cet endroit. La guide nous explique que nous reverrons cette figure en sortant. De loin le relief du rocher disparaît, la forme de la biche change, devient harmonieuse dans ses proportions, comme si elle avait été conçue pour être vue à distance. Ce n'est pas la première fois que je vois ça, certaines gravures de Pair-non-Pair ont aussi ce pouvoir anamorphique.

Nous passons rapidement sur quelques marques rouges en-dessous des biches où on a vu un bovidé inversé et où je dois bien l'avouer je ne vois pas grand chose pour, sur le côté droit de la paroi, faire face à un grand panneau de plus de deux mètres de long, avec au moins cinq biches immédiatement visibles et une sixième plus délicate à apercevoir.

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Si tous les animaux de la paroi gauche sont tournés vers l'entrée de la grotte, ceux de la paroi droite sont diversement orientés, ainsi cette première biche, l'une des plus belles même si le rouge est parfois estompé, elle est complète et l'on a même ajouté des aplats de peinture sur la robe. La biche est tourné vers le fond de la grotte mais elle regarde derrière elle, observant vers l'entrée comme les deux suivantes, biches plus petites qui ont les oreilles dressées, le cou tendu, le corps de profil.

Les trois autres biches du panneau regardent vers les profondeurs, la première est à peine visible et en partie superposée à une biche tournée vers l'entrée, seule la dernière est complète mais mal proportionnée, le ventre est lourd sur des pattes réduites à un simple trait en pointillés rapprochés, le museau est plus court, il y a un œil.

Devant ce genre d'ensemble se posent les mêmes questions, les peintures ont-elles étaient faites au même moment ? Ont-elles une signification ensemble ou sont-elles purement indépendantes et seulement rapprochées dans une même unité thématique par notre interprétation moderne?

Si Leroi-Gourhan a écrit que Covalanas avait un caractère idéal et simple, c'est que l'unité saute aux yeux, les codes graphiques, les oreilles, les pattes, la technique utilisée et qu'on ne retrouve que dans cette région d'Espagne, tout indique l'organisation pensée du sanctuaire. Rarement comme ici je n'ai senti à quel point le cadre est imposé, rigoureusement suivi, ce que ne peut que confirmer, à peine plus loin, le dernier panneau à droite devant lequel nous nous arrêtons.

Dominant de sa taille, de sa présence, toutes les autres représentations, voici le cheval de Covalanas entouré de cinq biches aux tracés très incomplets, parfois seulement la tête et les oreilles. Les positions des biches, dont l'une se glisse quasiment sous la jugulaire du cheval, ont parfois fait penser à l'attaque d'une meute de loups, mais on reconnaît bien l'économie de moyens et les conventions déjà présentes dans les représentations antérieures.

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Le cheval, au centre de la composition, possède, comparé aux biches, un luxe de détails. Ses oreilles en V rappellent les autres représentations de la grotte. L’œil est une sorte de triangle, les naseaux sont visibles, le nez, la barbe avec son aplat de rouge. Le cou semble bien étroit, la crinière quasiment hachurée lui donne toute sa force et son épaisseur. Les jambes avant ne sont pas représentées. Seulement en pointillées, la ligne dorsale et ventrale, le poitrail. À l'inverse la croupe, les jambes arrière, la queue sont soulignées par un trait de double épaisseur. Il fait largement plus d'un mètre .

À la gauche du cheval, au-dessus des trois biches incomplètes, la guide nous montre un signe rectangulaire, tectiforme mais dont la visibilité est brouillé, la peinture rouge a comme bavé sur la roche, la calcification naturelle et peut-être les dégâts de l'inévitable nettoyage des parois qui ici comme ailleurs fut réalisé sans précautions.

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Nous n'irons pas plus loin dans la grotte, au-delà de trois marches le réseau devient impraticable, étroit. La guide évoque quelques traces là-bas, peut-être des représentations de vulves, et il nous reste encore à voir le diverticule, petite alcôve où l'on se glisse avec circonspection, où la teinte rouge a été protégée et apparaît vive, presque neuve. Il y a là trois biches et deux signes tectiformes, les deux plus belles biches se font face, orientées vers l'entrée de la grotte, l'une à droite, l'autre sur la paroi gauche, presque à la même hauteur, le trait large, vif, les pointillés assez rapprochés pour paraître une ligne continue. Celle de la paroi gauche, avec son œil, ses oreilles dressées, son petit aplat de peinture à la base du cou, a été choisie comme emblème de Covalanas. On a une impression de fraîcheur à la croire tout juste sèche.

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C’est fini, nous reprenons le couloir vers l’entrée, mais avant d’y parvenir, la guide nous arrête et le faisceau de sa lampe vient éclairer la biche anamorphique qui effectivement nous paraît à présent harmonieuse.

Je sors, le ciel s’est déchiré et la lumière frappe par endroit les sommets environnants. Je remercie et la guide s’excuse encore de ne pas parler français. Qu’importe je suis ébloui par le rouge de Covalanas, par la présence de ces dessins, l’unité de cette grotte. Les filles aussi ont appréciés la promenade.

Comme d’habitude c’est le temps du rassemblement, je dévale la pente qui nous ramène à la voiture, j’imagine ce que j’écrirai dans quelques semaines, quelques mois, de la rencontre des biches rouges. Je suis rasséréné.

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À l’aplomb de la grotte de Covalanas, quelques dizaines de mètres en contrebas, s’ouvre dans la falaise, l’imposante bouche d’El Mirón. Dans cette cavité, peu d’art pariétal, mais de l’art mobilier, propulseurs, gravures sur os, et de nombreuses traces d’une longue occupation 40 000 ans au bas mot. , au pied d’un bloc de calcaire, on a découvert en 2010, la sépulture bien conservée d'une femme âgée de 30 à 40 ans, son corps en position fœtale recouvert d'une ocre prélevée sur le mont Buciero qui domine l’océan près de Santoña, à 26 kilomètres. De petites fleurs jaunes avaient été éparpillées près d'elle.

On l'a surnommée la Dame Rouge.

Cette tombe qui date de 19 000 ans et qui se trouvait à l'endroit même où vivaient les occupants, bien visible de tous est donc possiblement contemporaine des biches de Covalanas, j'aimerais croire qu’elle est celle de l'artiste qui a peint et d'une certaine manière sanctuarisé la grotte de Covalanas et par là même un rituel particulier a été réservé à sa dépouille. Le bloc de calcaire pourrait être une pierre tombale, il est gravé de lignes dont certaines font penser à une vulve.

On a dû la vénérer longtemps, puisque l’on sait qu’un chien ou un loup indélicat a fouillé le sol pour trouver un os de la dépouille et que les habitants ont récupéré le fragment, l’ont à nouveau recouvert d’ocre, et remis à sa place.

Thierry Guilabert

1Cynthia Ozick, Le châle. Éditions de l'Olivier, 1991.

Les photographies, sauf la deuxième, sont issues du web.

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3 août 2017

Extension du domaine...

Les articles du blog Préhistoart vont être peu à peu publiés sur le site

https://thierryguilabert.wordpress.com/

N'hésitez pas à le parcourir.

À propos

(Photographie : Catherine et Bernard Desjeux) Ce site présente les divers livres de Thierry Guilabert. Une librairie intégrée permet de les commander avec comme petit plus une dédicace de l'auteur. On trouvera au fil des pages, des photographies, des articles de presse et des textes inédits.

http://thierryguilabert.wordpress.com

 

28 août 2014

En attendant le Placard

En attendant un texte sur les gravures de la grotte du Placard à Vilhonneur.

Une jolie vidéo de Thomas Lebreuvaud au sujet d'Anne Paule Mousnier, artiste en art pariétal, trouvée sur le net.

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http://vimeo.com/68840597


 

 

 

5 mai 2012

Arcy-sur-Cure

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     La cartographie des grottes ornées ouvertes au public, me laissait peu de chances de visiter rapidement Arcy-sur-Cure, au sud du département de l’Yonne : trop loin, trop isolée des autres hauts-lieux de l’art pariétal. Il fallu un voyage à la Charité-sur-Loire et une visite du Vézelay pour que l’occasion se présentât. Et encore, ce ne fut qu’une visite promenade et non une de ces explorations approfondies pour amoureux de la préhistoire... Il importe, telle qu’elle fût cette découverte fut une réussite grâce à une guide, aussi compétente que dynamique. Elle eût l’intelligence de prendre en compte l’intérêt du groupe pour l’art pariétal en s’éternisant moins sur les merveilles géologiques qui firent la célébrité de la grotte jusqu’en 1990.

     La pluie m'avait chassé du bord du canal du Nivernais et des roches du Saussois. De petites routes jusqu’au site, un immense parking, quelques mètres d’ascension, et un porche comme d’autres... Une grille verte barrant l’entrée, une végétation tombante… Presque toutes les entrées de grottes se ressemblent, celle-ci n’avait rien d’exceptionnel. Il était un peu plus de 13 heures 30, une visite venait de partir et l’on me proposa de la rejoindre.

 

     Le groupe, une vingtaine de personnes, stationnait à quelques mètres, passage obligé pour faire en quelques sorte l’historique de la caverne d’Arcy-sur-Cure.

    La rive gauche de la Cure est trouée de multiples cavités intéressant les préhistoriens, et que l'on peut découvrir en suivant un sentier. La plupart porte un nom d’animal, lion, loup, bison, renne, ours, cheval, hyène. Plus en aval, la Grande Grotte. Ces grottes ont été fouillées dès la fin du dix-neuvième siècle, puis après la seconde guerre mondiale par Leroi-Gourhan, l’autre pape de la préhistoire. Il étudia en autre des gravures dans la Grotte du Cheval, mais pas dans la Grande Grotte considérée comme vierge de tout art pariétal. Dans les années soixante, Arcy s’endort telle la belle au bois dormant, seule les visites payantes continuent d’animer le site aménagé.

 

     Mais l’histoire est facétieuse. Ainsi la Grande Grotte, son développement, pas moins de 500 mètres, son accès tranquille, en ont fait un lieu de visites depuis des époques lointaines. On y a systématiquement prélevé les concrétions naturelles pour des besoins de décorations quand la mode fut à l’imitation des grottes dans les riches jardins. On y a partout laissé des graffiti, Buffon lui-même, le grand Buffon aurait inscrit son nom sur la paroi, en 1762. On pénétrait dans la caverne avec des flambeaux qui noircissaient le calcaire. On avait un peu peur, les corps se touchaient, mais l'on venait de loin pour admirer cette curiosité naturelle.

     Les lieux ont longtemps appartenu au seigneur local qui siégeait dans le château de Chastenay : le comte de la Varende. Jusqu’à son décès en 2007, ignorant d’une révolution entreprise il y a plus de deux siècles, il voit le pays comme le sien, et gère son patrimoine : le château et la grotte. Ce personnage truculent avait hérité de la propriété en 1968. Il voulut créer un son et lumière dans la caverne, un long épisode judiciaire devait l’en empêcher. En 1976, alors qu’un procès lui retirait provisoirement l’administration d’Arcy-sur-Cure, on s’avisa que la fréquentation marquait le pas. Les gens se déplaçaient plus facilement, et il y avait d’autres grottes spectaculaires en France. Le gérant provisoire décida d’entreprendre un nettoyage systématique de la caverne afin de lui donner une blancheur virginale. Il fit projeter de l’eau chlorée sous pression, ce qui eut pour effet de littéralement décaper la Grande Grotte. Plus de parois sombres et sales. Mais ce qu’on ignorait alors, et qu’on devait ignorer jusqu’en 1990, année où Pierre Guilloré découvre le tracé d’un bouquetin noir… C’est que sous la calcite terne, tout un bestiaire ornait les parois. Et si, ce fut précisément ce nettoyage qui rendit possible la découverte de l’art pariétal dans la Grande Grotte, les chercheurs considèrent y avoir perdu 80% des œuvres cachées... Et pas seulement une ou deux représentations, mais plus de 170 détectés à ce jour, qui laissent supposer la richesse initiale de l’ensemble.

     En 1990, le comte retrouve la propriété complète de la grotte, décide d’exploiter le filon préhistorique et cherche des financements pour les chercheurs… Aujourd’hui, François de la Varende, son héritier, gère les dettes financières de son père, il a vendu le manoir, rangé la particule aux oubliettes et poursuit l'exploitation de la grotte.

 

     Nous débutâmes l’habituel parcours par les curiosités naturelles. La zone des peintures étaient situées tout au fond de la galerie ouest. La grotte se déploie en un V très allongé, certains y ont vu un diapason. A l’est, un secteur actif avec des lacs que nous apercevrons au retour. A l’ouest, une succession de salles remarquables dans un vaste couloir, sauf qu’à bien y regarder, la destruction systématique des concrétions, le nettoyage des parois, rendent le spectacle un peu triste et assez commun au regard d’autres cavités connues pour leurs merveilles naturelles. Il ne demeure de remarquable que les gros ensembles qu’on n’a pu briser.

    Nous eûmes donc droit à la vierge, à l’huître au calvaire à mesure que nous nous enfoncions dans la large galerie. Le groupe faisait des haltes régulières, et la guide s’exprimant en anglais puis en français commentait le milieu. Peut-être avait-elle aussi une préférence pour les dessins et peintures de la salle des vagues à l’extrémité de la grotte.

     L’absence d'œuvres pariétales dans cette partie de la grotte n’était pas que la conséquence du nettoyage. Certes des ponctuations avaient pu disparaître, mais la roche elle-même était mal adaptée aux artistes, pas de grands panneaux utilisables. Encore pouvais-je relativiser, à Bara-Bahau, les gravures ont été faites dans une paroi particulièrement peu pratique pour ce genre d’exercice.

 

     Nous atteignîmes le calvaire, reconnaissable à une magnifique concrétion brisée par l’affaissement du sol. A présent nous allions voir les peintures, et à vrai dire je ne savais à quoi m’attendre, les déceptions existent aussi dans la découverte des rares grottes ornées.

     Le groupe fit cercle autour d’un premier panneau, fit cercle est un bien grand mot, je contournais discrètement un éboulis pour être assez proche des unités graphiques qui ornaient la paroi. Le panneau n’était pas spectaculaire, mais on y distinguait une première main négative d’adulte rouge, et un petit bison bien inscrit dans le relief. Mais le plus bel élément, le plus émouvant, était sans doute à hauteur d’enfant une très belle main droite, plus petite que la précédente et qui indiquait sa présence au fond de cette grotte il y a environ 27 000 ans. Arcy, comme Gargas est un sanctuaire ancien.

     La guide nous décrivit la technique, la projection de pigments avec des spaghetti, c’est-à-dire de petites concrétions vides au milieu qui forment comme une paille. Sur la signification bien sûr elle ne savait rien, sinon des suppositions : un rite initiatique, une signature… La guide avait demandé l’aide d’une enfant qui tenant un éclairage directionnel était chargé d’isoler la figure, de lui donner un coup de projecteur, la main ocre et l’enfant qui l’éclairait formaient comme un couple inséparable à 27 000 ans de distance. En tout, on avait retrouvé sept mains négatives et une positive à Arcy.

     En fait, l’ensemble des peintures d’Arcy était invisible, caché sous la calcite, pour accoucher de la grotte, les chercheurs Dominique Baffier et Michel Girard, vont se lancer dans l’exploration systématique des parois à partir de photographies infrarouges et d’autres ultraviolets qui révèlent les peintures quasi-invisibles à l’œil nu. A partir de 1997, on passe à l’intervention directe sur la roche, avec une sorte de fraise abrasive, on amenuise lentement la couche terne de calcite jusqu’à atteindre une deuxième couche, elle translucide et protégeant les pigments. Ainsi, années après années, la Grande Grotte se révèle.

     C’est presque au fond de la galerie ouest, la salle des vagues, la salle du sanctuaire. On en verra qu’une toute petite part, l’entrée. Aller plus loin signifierait avancer à quatre pattes sur le dépôt naturel qui protège le sol préhistorique de la grotte où quelques sondages ont permis de retrouver des outils, des foyers, des pigments et des lampes et finalement de dater indirectement de l’Aurignacien les œuvres pariétales. Impossible de faire à vingt ou trente le genre d’exploration que l’on peut faire à deux ou trois à Bédailhac. Une pseudo-barrière de tubes en plastique déterminera donc notre avancée maximum sous ce plafond qui concentre la plupart des peintures. Mais de là même où nous sommes, on devine l’importance de l’ensemble, une corniche avec une véritable frise, un plafond avec partout des animaux, certains découverts, visibles, d’autres à découvrir.

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    Le rouge domine, mais l’on voit aussi quelques dessins noirs. Dessins parce qu’il s’agit essentiellement de contours vide, bien qu’il me semble apercevoir plus loin sur la corniche un mammouth où l’on aura figuré le pelage. J’écoute la guide, et comme d’habitude je laisse errer mon regard vers le fond de la salle, j’aperçois des zones traités à la fraise, des lignes noires ou rouges, des peintures que je ne verrai pas.

     Elle nous montre un formidable mégacéros dont les bois ne sont pas dessinés mais empruntés à la roche naturelle et l’illusion est parfaite. Une fois de plus, j’admire l’adaptabilité de l’artiste au relief, une fois de plus, je constate que c’est la grotte en quelque sorte qui dicte à la main : la ligne, la courbe, au final l’animal, dans un rapport qui pouvait être une pensée magique.

     La corniche ouest à quoi se limite notre découverte des peintures d’Arcy, se révèle riche en mammouths, petits et grands, plus ou moins stylisés, rouges ou noirs, et puis un ours, il y en a plusieurs dans la caverne, et tout un bestiaire d’animaux, un félin que l’on ne retrouve que dans les grottes les plus anciennes, bouquetins, rhinocéros, des oiseaux rares dans l’art pariétal et des poissons. La guide, se contente de nous montrer des animaux directement reconnaissables, et s’il est frustrant de se trouver à quelques mètres d’autres œuvres, celles que l’on voit ne laisse pas de doutes sur la richesse pariétale de la cavité. Il existe d’ailleurs une visite approfondie d’Arcy, assez longue pour venir jusque sous le plafond de la salle des vagues. Ce sera pour une autre fois.

     Je gagne du temps, pose quelques questions, désigne un ou deux dessins dont elle n’a pas parlé, ce petit mammouth là-bas dont on voit le pelage. Les mammouths d’Arcy ont vraiment un style particulier, souvent la ligne du front forme une courbe et se poursuit dessinant d’un même trait une défense. L’ensemble des figures est très schématique, aucun des détails qui font quinze mille ans plus tard la beauté des dessins et gravures de Rouffignac. Non, l’artiste est économe de ses gestes, en trois coups de charbon, il fait naître l’animal. Sans pouvoir d’abstraction, il n’aurait pas les bons outils pour faire figurer les détails, les proportions… Du moins pourrait-on le croire, tant qu’on n’a pas vu les phénoménales compositions de la Grotte Chauvet, les chevaux comme au fusain avec des nuances de noirs, des reliefs, les lions tendus vers leurs proies… Quelque chose d’effarant, réalisé des milliers d’années avant les dessins d’Arcy, et qui laisse au placard l’idée même de modernité dans l’art et toute la chronologie des styles de Leroi-Gourhan…

 

     La guide est patiente, elle prend le temps de nous le montrer, et quand il faut reprendre le chemin du retour, c’est qu’un groupe, plus rapide, plus nombreux, moins chanceux, stationne déjà à proximité du sanctuaire.

     Allez ! La visite n’est pas finie, nous console-t-elle, on va voir les lacs. Et c’est vrai nous verrons deux lacs souterrains de faible étendue. Dans le premier, le Lavoir des Fées, on a découvert des bactéries qui participent à la formation du calcaire, où l’on pensait que le processus était uniquement minéral, on parle à présent de « biocalcification ». C’est une révolution géologique. Le lac est couvert d’une pellicule blanche, on y a immergé une statue dégradé de la façade du Louvre et les bactéries bâtisseuses l’ont recalcifié. A présent, on laisse, par amusement un buste dans le lac, ça provoque des questions et le guide a son enchainement tout trouvé.

     La deuxième étendue d’eau nommée simplement : le Lac, est d’un autre genre : un magnifique miroir qui donne l’illusion de la profondeur en reflétant le plafond. Impression merveilleuse, pas une ride ne vient troubler la surface, juste l’effet d’un jardin zen souterrain. Nous sommes tout près de la sortie…

Thierry Guilabert


 

22 janvier 2012

Villars, la préhistoire en passant

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     Au nord de Périgueux et de Brantôme, plus très loin du département de la Charente se situe la Grotte de Villars. Comme Arcy ou Isturitz, c’est une cavité que l’on visite d’abord pour ses charmes naturels, la préhistoire vient en passant. C’était ça, je passais par là avec famille et bagages venant d’Oléron et en direction de Limoges. C’était le début des vacances et pour éviter la circulation j’avais tracé un itinéraire bis, qui incluait une pause préhistoire.

     Les livres parlent peu de Villars, c’est une trouvaille relativement récente. En 1953, le spéléo-club de Périgueux fait la découverte d’un trou qui souffle sur le coteau du Cluzeau, l’exploration qui suit va révéler le plus grand réseau karstique souterrain du Périgord, on parle à ce jour de 13 kilomètres. Il fallut désobstruer l’entrée, ramper dans une chatière pour atteindre la grotte, vierge de tout graffiti, absolument neuve. A la fin de 1957, un long trait noir dans la salle dite des Cierges attira l’attention des spéléologues qui débouchèrent l’accès de la salle des Peintures en présence de l’Abbé Glory le 19 janvier 1958. Quelques mois plus tard, ce fut au vieux Breuil de venir authentifier les œuvres.

     C’était là l’histoire de Villars : de l’époque paléolithique, datées de 17 000 ans, quelques peintures dans une salle, que la calcification avait rendu comme d’anciens tatouages sur la peau humaines, l’oxyde de manganèse noir apparaissant sous la calcite d’un bleu légèrement passé… Je connaissais l’image du petit cheval qui était devenue le logo publicitaire de la grotte.

     L’aire d’accueil était impressionnante, grand parking aménagé, aire de jeux, tables pour les pique-niques, et encore buvette et boutique, le tout superbement entretenu. Je considérais la chose avec surprise au regard de tant d’autres sites dépourvus de tout. L’endroit était agréable, il faisait chaud.

     Nous prîmes les billets et l’on nous fit patienter quelques minutes avec un film sur la formation de la grotte sur lequel je ne jetais qu'un coup d'œil distrait. Les enfants s'intéressaient plus aux diverses babioles proposées dans la boutique.

 

     Un court chemin menait en plein bois à l’entrée de la caverne. Une entrée comme un tombeau, des murs austères, un escalier étroit et pentu qui dégringole vers la porte. La grotte avait été ouverte au public au lendemain des découvertes d’œuvres pariétales, aménagée et réaménagée. On avait non seulement couvert le sol d’un chemin antidérapant, mais aussi sonorisé le parcours, inventé des jeux de lumières, d’une manière que je jugeais maladroite. On était sans doute tombé dans l’excès, le rôle de la guide se bornant parfois à appuyer sur un bouton.

     Le parcours s’étendait sur cinq cents mètres environ, fait de salles aux belles concrétions, draperies, bénitiers, cierges, le tout mis en valeur, mais ne différant que très peu d’autres cavernes connues pour leur beauté. Je sentais poindre en moi un sentiment de lassitude, quant aux enfants, ils manifestaient un désintérêt total pour cette énième visite souterraine. Il pensait au repas, à la route et aux retrouvailles sur le lieu des vacances.

     Nous eûmes tout le loisir de franchir successivement la salle des bénitiers, le passage qui circulait dans un luxe de stalactites, puis le grand balcon, où nous surplombions une salle profonde. Là le jeu de lumières se double d’une sonorisation évoquant la création de la grotte, le torrent qui creuse le calcaire, à grand renfort de couleurs et de décibels, et juste au-dessus du vide. C'est le grand spectacle sensé m'impressionner et qui me laisse impavide, d’un froid sinistre, décidément le jour est mal choisi pour émerveiller, j’ai l’impression que cette visite ne m’apportera rien, juste une sorte d’intermède sur la route. Je ne suis plus de la première jeunesse, les cavernes j’en ai vu d’autres et pour lesquelles on n’avait pas besoin d'un attirail pour justifier le prix du billet.

 

     Avant la salle des Cierges, des griffades d’ours sont le premier témoignage de vie dans les galeries. Nous arrivons à la partie ornée, c'est-à-dire au terme de la visite, et la partie ornée, du moins ce que l’on nous en montre, ce qui est visible, se résume à peu de choses où s’étaient pourtant succédé tous les grands noms de la recherche à la fin des années cinquante. L’authenticité de la découverte ne faisait guère de doute, comme je l’ai déjà dit, les peintures avaient pour la plupart étaient recouvertes de calcite translucide. Selon l’épaisseur de cette calcite, la peinture apparaissait bleu ou estompée, à moins qu’elle n’est totalement disparue sous les coulées.

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     La guide nous invita à prendre place dans cette petite salle en forme de rotonde, devant la fresque des chevaux. C’était un ensemble de dimensions fort modeste. On y voyait une tête de cheval très distincte dont l’encolure disparaissait sous la calcite qui a cet endroit se faisait plus épaisse. A sa droite, un cheval en entier, qui devait mesurer quarante centimètres. Le trait, ce que je pouvais en juger, était maladroit, les proportions imprécises, et puis les coulées avaient délavé la peinture. L’ensemble était visible, mais comme frotté à l’éponge. En-dessous du cheval, au niveau de l’arrière-train, une grande corne de bovidé, le début d’une tête, le départ d’un dos et encore quelques traces de pigments.

     C’était le drame de Villars, il y avait d’autres peintures dans la grotte, mais elles n’existaient que prises dans un écrin de calcite, rendues invisibles par l’action de l’eau, celle-là même qui avait créé tant de belles draperies, de grandes concrétions.

 

     Comme le groupe avançait vers une autre peinture, je remarquais des stries sur la pierre, des gravures. J’en parlais à la guide qui confirma mais curieusement n’en dit pas plus. La fin de la visite était proche, et l’on devait filer. La préhistoire, c’était en passant…

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     Elle nous montra néanmoins les deux plus belles images de la salle. Le petit cheval bleu, la mascotte de Villars, tout en mouvement malgré la simplicité du trait et la quasi absence de détails. Il était comme au galop, en pleine extension, les pattes avants tendues vers l’appui, celles de derrière inachevées. Une longue queue prolongeait la ligne du dos. La tête surtout était imprécise, une petite pointe pour l’oreille, une tache pour l’œil, le trait épais et bavant comme l’empreinte de l’encre sur le buvard. Malgré sa rusticité, datant du Magdalénien ancien (si l’on peut encore utiliser ce type de classification après Chauvet) ce petit cheval bleu avait beaucoup de présence et je comprenais pourquoi il avait été distingué dès sa découverte.

     La dernière peinture que l’on voit à Villars est sans doute la plus intéressante. Elle n’est pas bleue mais noire, sur une partie à l’abri des coulées, elle a gardé sa teinte d’origine. C’est une scène toute petite, un bison d’à peine vingt centimètres mais bien reconnaissable, la tête basse, les cornes effilées, non pas campé mais en mouvement, la queue haute. La position des pattes avant indique qu’il charge, s’apprête à charger ou bien frappe le sol de la patte gauche avec l’intention de charger. C’est que devant le frontal de la bête, juste séparé de lui par une fissure dans la roche, se dresse un anthropomorphe, sans doute un homme, bien campé lui, sur ses deux jambes fléchies, les bras en l’air, semblant attendre la charge dans la position caractéristique du banderillero, c'est-à-dire comme pour sauter et esquiver l’animal tout en le perçant.

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     Derrière la tête de l’homme (en vérité, à peine un homme, les pieds seuls sont indubitablement humains, sans quoi ce pourrait être un fauve, sans quoi on raconterait une autre histoire) une sorte de crinière, ou un masque... De toute façon l’image est assez dégradée, et la traduction que les préhistoriens en donne, largement soumise à caution. Glory, y voit un masque en bec d’oiseau, pense à la scène de chasse du puits de Lascaux, au sorcier de Saint-Cirq, à celui de la grotte des Trois-Frères. On y voit un acte rituel, une sorte de corrida préhistorique. Le culte du taureau existait déjà chez les Crétois, pourquoi pas antérieurement…

     Derrière l’homme une trace en pigment rouge, indistincte. Peut-être, pourquoi pas, le piège dans lequel il est sensé attirer la bête. 

 

     Les images de cette nature sont infiniment rares dans l'art des cavernes, celle-ci me fait davantage penser à ce sorcier orné de bois de cerf de la grotte des Trois-Frères que je ne verrais jamais qu'en photographies qu'à Lascaux ou Saint-Cirq dont les représentations humaines sont ithyphalliques, c'est à dire éminemment sexués.

 

     Il me resta donc un petit cheval bleu et une scène de tauromachie de ma visite à Villars. Peu de choses au regard d'autres sites mieux fournis. On ne peut pas toujours gagner, se répandre à chaque fois en émerveillements plus ou moins sincères et toujours reconstruits après coup… Il m’a fallu un an avant d’écrire ces quelques lignes, ne sachant comment aborder cette grotte et pourtant je ne pouvais m’y soustraire. Sans doute, d’autres visiteurs, mieux lunés que moi, trouveraient mon récit injuste, ils auront rencontré le petit cheval bleu sous un meilleur angle, avec plus de passion et autrement qu’en passant dans les galeries de Villars. Sans doute…

 

Thierry Guilabert


 

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24 septembre 2011

La grotte des rêves perdues

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     Pour le prix de visite d'une vraie grotte ornée, chaussé d'affreuses et lourdes lunettes 3D, j'ai été voir le film de Werner Herzog. Herzog n'est pas n'importe qui, un cinéaste de l'extrême qui m'avait naguère subjugué avec son Aguirre, son Fitzcarraldo, son Nosferatu. Le roi des tournages compliqués... Et voici qu'il s'attaquait à la merveilleuse grotte Chauvet et en relief s'il vous plait.

     Autant le dire de suite, je ne suis pas un grand fan du cinéma 3D qui me semble surtout une arnaque pour justifier de très mauvais films, mais bon, je n'aurais sans doute jamais l'occasion de visiter la vraie grotte alors pourquoi pas ?

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     Le résultat est bluffant, le relief est formidable, les peintures sans doute plus belles que dans la réalité, données à voir dans un lent mouvement. S'il manque le parfum, l'atmosphère réelle de la cavité, la ballade se révèle enthousiasmante. La musique est parfois envahissante et les commentaires pas toujours très pertinent, mais Jean Clottes est assez discret et les interprétations chamaniques restent au second plan. 

     A voir sans hésitation. 

16 août 2011

Les mains négatives de Wanaham

grotte0002N478Photo Luc Faucompré

 

     Les grottes ornées ne sont pas une exclusivité de la France Métropolitaine, voici grâce à l’amical concours de Pierre Larue et Luc Faucompré deux photographies de mains négatives des grottes de Wanaham à Lifou sur les îles Loyauté. Certaines de ses peintures, en particulier celles de la grotte de Fétra-Hé ont été datées 3000 before present, ce qui sous-entend que les premiers habitants du territoire ont de suite exploré les grottes souterraines pour y installer des sanctuaires. On y dénombre pas moins de 170 mains dont les premières se situent à au moins 150 mètres de l’entrée de la grotte.

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grotte0003_bN478Photo Luc Faucompré

     Il y aurait à Wedrumel, sur la même île, une caverne plus profonde encore dont les parois seraient ornées de peintures couvertes de calcites, ce qui prouverait une grande ancienneté… Des surprises sont encore possibles.

 

14 août 2011

Les Pétroglyphes de Katiramona

     Pierre Larue me transmet depuis le "Caillou" ces très belles photographies des Pétroglyphes de Nouvelle-Calédonie et en particulier du site de Katiramona à quelques encablures de Nouméa. Il existe de nombreux sites d'art rupestre sur l'île et de nombreuses traditions Kanak liées à ces roches « Ce sont les "wiônè" qui ont fait cela, ont dit les vieux, du temps où les hommes ne savaient pas encore ce qu'ils faisaient ; ce sont quand même les ancêtres, les vieux des ténèbres, des vieux estimés. » (Explication recueillie à Kouaoua).
« Nos ancêtres les plus lointains, les « gntomîhgnîn», ils ne parlent pas. Ils sont nés dans les pierres et dans les bois... ; c'est eux qui ont fait les dessins, les signes peints ; lés pétrophyphes c'est les hommes (c'est-à-dire nos ancêtres, mais qui sont venus après les "gnîhmîhgnîh"). » ( Voir Jean Monnin, Journal de la société des océanistes n°85)

     On remarquera les formes abstraites en spirales. La datation de ces gravures semble difficile, on évoque 3000 ans... 

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Merci à Pierre pour ses images lointaines. 

18 avril 2011

Toulouse et l'invention de la préhistoire.

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     J'ai profité d'un voyage dans la ville rose pour me rendre au muséum d'histoire naturelle voir quelques pièces concernant la préhistoire. Ce musée couvre toute l'évolution, depuis le bing bang, aussi bien la géologie que la biologie, autant dire que l'histoire humaine n'en est qu'une faible partie, aussi la préhistoire se résume-t-elle à une salle ronde où l'on admirera néanmoins la très belle reproduction des bisons modelés du tuc d'Audoubert en rêvant de les voir un jour pour de vrai.

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    Jusqu'en juin une exposition : Préhistoire, L'enquête, permet d'approcher quelques pièces supplémentaires dont la restitution de la double sépulture de Téviec, la très belle vénus de Sireuil oeuvre majeure et d'une si petite taille. Deux statues menhirs du Tarn, dont la très belle statue féminine du Frescaty, et quelques raretés d'art mobilier, batons percés, gravés...

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Thierry Guilabert


24 février 2011

Les Combarelles

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Dans le fond, l’indifférence ou l’éblouissement, ma façon de juger d’un site, furent essentiellement le fruit des guides, de leur accompagnement. Ils n’étaient pas tous aussi dévoués ou érudits. Ils n’avaient pas la même éloquence. De là, sans doute, lorsque j’en conversais, des différences d’appréciation sur la grotte des Combarelles. Certains, hors saison, admirèrent deux heures durant les gravures. D’autres n’étaient pas demeurés plus de trois quarts d’heure dans le boyau. Et pour ma part, à peine une heure, mais c’était la dernière visite de la matinée, celle où, affamé, on ne s’éternise pas.

Les Combarelles, Fond-de-Gaume, si j’étais aux Eyzies c’était uniquement pour voir les deux grottes jumelles. On les dit jumelles car elles sont à peu de distance l’une de l’autre, sur le même côté de la route de Sarlat, et surtout elles furent inventées – et non découvertes - à quelques jours d’intervalles en septembre 1901 par Peyrony alors instituteur aux Eyzies, accompagné de Breuil et Capitan. En moins d’une semaine les septiques d’Altamira furent déboutés : l’art pariétal était authentique.

Le vrai découvreur des Combarelles (la petite histoire a retenu son nom : Pomarel) était le gendre du propriétaire des lieux. On fouillait dans le coin depuis 1868 et l’abri Cro-Magnon. Ici même, à quelques mètres de l’entrée des Combarelles, Emile Rivière sept ans auparavant avait trouvé des foyers, des os, des pendeloques… La Mouthe et ses gravures en 1895 avaient fait grand bruit. On s’apprêtait à investir tous les trous naturels du Périgord pour y chercher l’art des origines.

Une petite ferme, adossée à la falaise, occupait le vallon des Combarelles, or, dans le fond de la grange qui n’était que le porche de la grotte, s’ouvraient des galeries basses et étroites, c’est là que Pomarel dû longuement ramper pour découvrir loin dans le couloir ce qu’il nomma : « les bêtes». Je n’en savais pas davantage sinon que Pomarel et Berniche ( le propriétaire ) assurèrent longtemps les visites guidées, l’état - après acquisition - leur ayant concédé le gardiennage.

 

La brume s’accroche encore, l’herbe haute est humide. On va à pied depuis la route de Sarlat jusqu’à la petite maison aux volets rouges sous la falaise qui n’est plus une ferme et sert d’accueil aux visiteurs. Ils ne sont jamais nombreux : la virée est strictement limitée à six par groupe. Quelques personnes viennent au hasard espérant des places, mais des places, il n’y en a guère. Il faut réserver à l’avance son droit de passage. Les Combarelles sont trop fragiles pour des flux importants.

Contrairement à Fond-de-Gaume, cette courte marche d’approche s’effectue en terrain plat et découvert. Une prairie juste en bas des falaises où devait pâturer quelques bêtes au temps de Pomarel. On aperçoit à gauche de la maison le porche de la grotte assez imposant verrouillé par une grille. La maison est fermée ; une visite est en cours.

 

Je patiente en admirant le porche. On sait, grâce aux fouilles d’Émile Rivière, que celui-ci était habité à l’époque magdalénienne. La falaise ne doit pas mesurer plus de dix mètres de hauteur dans un beau calcaire coloré par les lichens de traînées noires ou brunes.

Derrière la grille, il y a deux entrées. À droite, un éboulis de quelques mètres monte à un trou de serrure, un passage étroit tout en hauteur, Combarelles II, la galerie contient quelques gravures, mais n’est pas accessible au public. À gauche, c’est différent : un escalier aux marches bien dessinées mène à une porte et, comme elle est ouverte, on le voit s’élever au-delà. La porte n’a rien de monumental, elle est entourée d’un mur en pierre et au-dessus une grille ferme un trou à peu près rond d’un mètre de diamètre.

Ce trou, je le sais, est l’entrée par laquelle sont venus les premiers explorateurs, tout le sol de la grotte fut ensuite abaissé pour permettre le passage des visiteurs et, même ainsi, la fragilité des parois, l’étroitesse de la galerie rendent délicate l’ouverture au public. Je n’en suis que plus ému, plus impatient, privilégié en somme d’être là ce matin, oublieux du voyage, de la mauvaise nuit sous la tente et du sandwich vite avalé.

 

Les Combarelles : le grand œuvre de l’abbé Breuil. Il avait passé des années dans le boyau étroit, à genoux, couché, rampant, pour relever les gravures : « (…) les premiers mètres, écrit-il, étaient encombrés des débris du plancher stalagmitique ancien effondré ; en maint endroit, le remplissage de graviers et les gours superposés, souvent élevés, rendaient la circulation pénible, et nécessitaient de cheminer courbés en deux ou sur les genoux, en garant sa tête des stalactites pointues (…) » Il y avait gagné ses galons. C’était un travail épuisant, une heure de reptation, et puis tenir le calque à bout de bras. D’abord il répertorie les figures les plus lisibles, les plus belles aussi, en 1902, 109 gravures sont identifiées. Le deuxième relevé de l’abbé en 1924 en donne 291! La pierre parle.

Louis-René Nougier a analysé cette différence, notant que dès 1902, Breuil avait repéré les 13 ou 14 mammouths des Combarelles, mais seulement 2 bisons alors qu’ils sont 37 en 1924. Il en conclut qu’il y a là deux manières différentes, deux artistes, le premier au trait clairement identifiable est l’auteur des chefs-d’oeuvre, le second demande un œil averti. Et que penser alors des 800 gravures relevées par Claude Barrière et ses assistants dans la même grotte durant les années quatre-vingt ?

Tout ça me laisse songeur, Les Combarelles entièrement décalquées, et ensuite ils cherchent à assembler certains traits pour en faire des figures identifiables que nous ne verrons jamais, que personne n’a jamais vues dans la grotte, trop difficiles à isoler dans l’entrelacs... 800 gravures. Combien j’allais en voir ? Vingt, peut-être trente ; la plupart sinon toutes appartiendraient au relevé de 1902, les autres, présence virtuelle ou accroche publicitaire, ce ne serait qu’un jeu d’enfant où l’on dessine une longue courbe qui se croise et se recroise sur la feuille, après quoi l’on colorie les poissons que l’on distingue dans le désordre. Chacun les siens.

 

Des voix, elles viennent depuis la porte, se rapprochent. Au bout d’un moment, la guide apparaît et une mère et son enfant. Ils discutent. La dame remercie chaleureusement pour cette visite quasi-privée.

La guide jette un regard vers ceux qui l’attendent. Nous ne sommes pas encore son groupe. Elle rentre un instant dans la petite maison, c’est sa transition, limitée mais nécessaire : il va falloir recommencer.

Dans la pièce qui sert d’accueil, je détaille le grand relevé cloué au mur, celui de Breuil en 1924. De celui de Barrière, il ne sera pas question, et quand j’en dirai quelques mots, on me fera comprendre par des paroles sibyllines, qu’un contentieux existe, qu’on n’apprécie pas tellement ce préhistorien ici. Je n’en saurai pas davantage. Puis, elle ressort, elle contrôle nos billets, explique à des vacanciers mal renseignés la procédure pour la visite des Combarelles. Ils repartent penauds. Elle nous prend en charge, jette un coup d’œil discret à nos vêtements : dans un couloir étroit avec de si nombreuses gravures mieux vaut éviter les vestes trop amples, les sacs à dos. Il y a un jeune garçon. Il y a toujours des enfants dans les grottes.

 

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Lorsque nous pénétrons dans le boyau, le froid nous saisit. L’air est incroyablement humide, onze degrés, la grotte dégoutte, des coulées de calcite sur la roche et une zone sombre, terreuse, qu’on a creusée pour abaisser le niveau du sol en 1928. Cette grotte est restée inondable jusque vers 1972. Une partie de l’année le sol était couvert de mares, la galerie parfois inaccessible. Au printemps, on évacuait l’eau avec des seaux…

Cent cinquante mètres à parcourir avant les premiers signes, la guide imprime un rythme rapide, nous avertit lorsque le plafond s’abaisse. Le sol est plat mais le gamin doit tirer la langue. Ça n’a pas l’air de la préoccuper.

La galerie fait un premier coude après cinquante mètres, un deuxième… Cro-Magnon était décidément un drôle de type, ramper dans ce trou, sur un sol qui n’était pas régulier. Près d’une heure pour atteindre des gravures que personne ne verrait. Là-dedans point de grande cérémonie, de danse collective ; avancer avec une lampe et des outils devait déjà relever de l’exploit. C’était quoi leur motivation : un rite initiatique, des ex-voto pour remercier d’une chasse fructueuse et rendre par le dessin l’âme de l’animal à la terre mère afin qu’elle le perpétue dans une nouvelle naissance.

On peut avancer toutes les hypothèses, on n’est sûr de rien. D’ailleurs les guides des Eyzies ont sur le sujet une prudence de Sioux : décrire oui, expliquer c’est entrer dans l’interprétation normative, peu franchissent le Rubicon, le mot d’ordre semble : donnons les éléments et que chacun se fasse sa propre idée. On n’est d’autant moins tenté de divaguer qu’on marche forcément sur les traces de Breuil et de Leroi-Gourhan. Ce dernier écrit : « Avec El Castillo, le sanctuaire des Combarelles est le plus compliqué que j’ai eu l’occasion d’étudier » et d’ajouter : « C’est pourtant cette grotte que j’avais choisie pour le premier test statistique et c’est elle qui, avec Le Portel et Covalanas, m’a montré le caractère volontaire des groupements de figures et de leur répartition. » Il retint environ 250 gravures animales, en insistant sur l’importance du couple bison-cheval. Sa description est sèche, technique, mais tend à prouver l’organisation de l’espace dans l’art pariétal, et c’est loin d’être évident quand on visite les Combarelles.

De quoi s’agit-il : sur les derniers soixante-dix mètres de couloirs, s’arrêter souvent, se tourner à droite ou à gauche, isoler les gravures les plus célèbres, les voir fugitivement et les rendre à l’obscurité dans un tel fatras de traits que toute idée de cohérence s’éloigne à mesure que nous approchons du bout. La guide, compare ça à un mur de tags où chacun serait venu graver sur le travail d’un prédécesseur, ce n’est plus l’image mais le geste qui importe. Abandonner alors toute certitude – c’est le lot du préhistorien – ne pas faire la moindre supposition et sortir de là l’esprit embrouillé. Recommençons !

 

Elle parle des difficultés de datation, douze mille ans environ en tenant compte de quelques charbons retrouvés sous le porche et de la très controversée chronologie des styles établie par Leroi-Gourhan. Elle s’arrête. À quelques dizaines de mètres, j’entends les voix d’un autre groupe plus en avant dans la grotte - pour se croiser nous devrons presque nous coller à la paroi.

S’il faut se contenter d’une galerie de portrait, je l’accepte d’autant que les images sont belles et nombreuses ; un bestiaire entier, parfois inédit gravé dans un calcaire rugueux. Images peintes aussi nous explique la guide, mais à la fin de la glaciation, le climat plus humide a favorisé l’exsudation dans de minuscules fissures et la paroi en a été lessivée. Des pigments, il ne reste que de rares traces, la silhouette d’un cheval.

Le côté positif de l’histoire, c’est que la calcite en recouvrant la paroi a protégé les gravures de l’érosion. La tête de cheval qu’elle nous montre d’abord n’en est peut-être pas le meilleur exemple - quelques paroles déjà entendues mais moins moqueuses qu’à Bara-Bahau - certaines personnes ne voient pas correctement le relief, ne parviennent pas à distinguer l’image : le cou, la tête, les yeux, la bouche, le mufle, les oreilles, tout y est pourtant. La gravure n’est pas de grande taille mais adaptée à l’étroitesse de la grotte. Avec un sol, un mètre plus haut comme le situe la trace sombre et visible sur la roche, Cro-Magnon devait œuvrer au mieux à genoux, au pire couché. Combien de temps pour un trait, passé et repassé avec ses silex ?

Nous en verrons d’autres. Elle ne s’attarde pas et, toujours sur notre gauche, indique un visage humain reconnaissable et caricatural : vu de face, deux yeux, une incision pour le nez, un trait maladroit. Un visage qui ressemble en tout point au dessin d’un enfant en quête de personnage. Ce doit être la première fois que j’en vois un si nettement, pour de vrai comme dirait ma fille. J’en ressens un malaise, peut-être parce qu’il fait face et me regarde alors que les bêtes sont de profil dans un autre plan où je suis spectateur. Aussi à cause de son aspect maladroit, à mille lieux de certaines gravures animalières ; comme si le primitif surgissait, l’homme antédiluvien - seulement capable de quelques grognements, bassement instinctif - au nom duquel on a moqué l’art préhistorique jusqu’à la découverte des Combarelles et de Font-de-Gaume ; mais si proche de nous, si familier ; une sorte d’archétype, valable quels que soient l’époque ou la culture.

 

Elle est déjà passée. Je ne vais pas si vite. Que vais-je retenir au bout ? Cinq ou dix images les plus célèbres, que je retrouverai aisément dans les photographies des livres et, plus facilement visibles, isolées du reste, de cette accumulation de traits que nous laissons dans l’ombre, indéterminée. On ne peut qu’effleurer les Combarelles. On sent bien la complexité du couloir, mais on a l’impression d’un formidable désordre, les traits partout comme un gribouillage des parois.

Et dans les traits, quelques figures… Un mammouth surchargé d’autres lignes. La guide nous le dessine lentement, le fait exister : la queue, les pattes, le pelage, et cette trompe en arc de cercle ramené vers le corps plutôt que droite, très différente des dessins de Rouffignac, moins réaliste mais plus expressive. Et à droite à présent un grand cheval d’un mètre, parfaitement détaillée, certainement le plus beau de la grotte avec ses oreilles dressées, son encolure parfaite. Une douceur dans les lignes le rend comparable au bas-relief caché sous le château de Commarque.

Je n’ai plus froid. J’ai oublié l’humidité poisseuse de la grotte. Je ne songe qu’à regarder le mieux possible, pleinement concentré parce qu’il ne peut en être autrement avec la gravure, parce que j’ai fait trois heures de route au petit matin pour venir jusqu’ici et que je veux me remplir à ras bord de préhistoire.

 

Celles-là sont plus petites, une vingtaine de centimètres chacune, ce n’est pas exactement une scène mais impossible de les dissocier. Je les ai reconnues de suite : ce sont les femmes des Combarelles. Des corps schématisés, réduits à la plus simple expression, presque des idéogrammes, une vulve dit-on, c'est-à-dire une forme vaguement triangulaire ouverte d’un trait et, à droite des silhouettes, une femme penchée, l’autre moins, des profils, sans bras ni tête, seulement une poitrine, le buste se terminant par deux lignes parallèles, une taille, des fesses, des jambes arrêtées près du genou… Fermée en bas, ouverte en haut.

Les trois me font penser à une séquence qui va du signe à la forme, la vulve devenant la représentation la plus simple de la femme. Mais à la fin, tout est là, on comprend d’instinct à quoi on a à faire : une image sexuelle moins figurative qu’à Angles-sur-l’anglin, plus récente : l’idée de la femme chez Cro-Magnon.

          Elles ressemblent aux gravures de la Roche, à Lalinde conservées au musée des Eyzies, signes plus simples encore, la poitrine ayant disparu au profit du seul arrondi des fesses, très différentes donc des minuscules Vénus de l’abri Pataud, vues de face, en bas relief, ventre arrondi, seins lourds, tête ronde, triangle pubien, vieilles de peut-être vingt mille ans.

Une étape essentielle entre le signifiant et le signifié, pas encore un graphème, pas une écriture, mais peut-être déjà un signe abstrait valant pour une idée générale et sans équivalent : pour l’homme, on se contente d’une caricature ou d’un phallus comme en dessinent les gamins au collège… C’est un mystère. Je sens qu’il faudrait fouiller là, faire une archéologie des représentations de la femme et de l’homme, que ça nous apprendrait beaucoup sur la formation de l’esprit humain… Mais déjà elle va plus loin, attentive aux retardataires, elle fait signe, se penche sur la paroi, indique d’autres contours, d’autres gravures superposées. Je ne vais pas si vite, j’enregistre quelques images et puis immanquablement j’en oublie.

La galerie fait un coude à droite, un deuxième, et repart rectiligne. Des lignes partout organisent des images que je ne verrai pas, et notre progression de chef d’œuvre en chef d’œuvre ressemble à celle que nous aurions dans un grand musée ou nous négligerions des centaines de tableaux sur les murs, franchissant les salles d’un pas rapide, entrevoyant parfois une forme, mais trop tard pour l’inscrire à notre patrimoine. Le couloir par lui-même n’est pas intéressant, pas de belles concrétions, pas de gouffre, pas de faille, rien qu’un cheminement serré sans autre repère que les changements de direction. Rien à voir donc, sinon les gravures. Je suis entièrement dépendant d’un guide apte à me montrer le bestiaire et, l’impression que tout m’échappe n’en est pas forcément dissipée.

 

 

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Au bout de la galerie moyenne, avant d’aborder un nouveau coude, voici la lionne. C’est une gravure des plus belles et des plus connues des Combarelles. Les représentations de félins dans les grottes ouvertes à la visite, sont extrêmement rares. À vrai dire, c’est une première fois et, je suis en arrêt devant la bête. Pas de doute, c’est bien une lionne, où une panthère ; seul l’avant de l’animal est représenté : une patte épaisse, un corps puissant surgissent de la multitude de traits, mais c’est surtout la gueule qui retient mon attention, l’œil rond, les oreilles dressées. Elle est terriblement noble. Elle guette, ce qui pourrait surgir au bord du passage.

Un caillou plus clair que j’ai d’abord pris pour l’œil est planté dans la tête de la lionne, une piètre restauration. J’ai des photographies où l’animal n’est pas mutilé. On a bien mal oeuvré. Le caillou n’est pas de la même teinte que la paroi, et l’on ne voit que lui… Les Combarelles sont fragiles, elles ont été fermées avant les années cinquante, trop d’altérations. Il a fallu installer des rambardes, un nouvel éclairage, repenser la fréquentation… C’est miracle d’être ici : les grottes couloirs n’ont pas vocation à recevoir des visiteurs.

 

Malgré tout la lionne est belle et, je n’en connais pas d’aussi noble sinon sur les parois interdites de la grotte Chauvet ou dans les sites rupestres du Sahara. Juste sous l’animal, la guide détaille un rhinocéros : deux cornes immenses se fichent sur un corps massif, la patte de la lionne oblitère la ligne du dos de l’herbivore. Plus loin voici l’ours, animal dont je m’étonne de ne pas le voir plus souvent représenté puisqu’il fut en concurrence avec l’homme dans l’occupation des cavernes. L’animal, n’est pas très visible et m’échappe parfois, je le tiens un moment, de trois-quarts dos, voûté, les pattes larges, la tête penchée vers le sol, oui c’est bien un ours, mais comme il est épuisant de le voir. Tout au bout de la galerie médiane, le bestiaire s’enrichit d’un renne profondément gravé, à la lecture facile. Tourné vers la gauche, il tend sa tête au niveau d’une fissure naturelle dans laquelle a pu s’échapper de l’eau. On le nomme : Renne buvant. Il a de longs bois recourbés en arrière et tout son corps est traité avec une étonnante maîtrise de la perspective : pas vraiment de profil, les deux fines pattes arrière sont dessinées, le corps échappe au seul contour : un jeu subtil de lignes verticales, de courbes et l’utilisation du relief, complètent l’animal. Ici, l’artiste - on ne peut dire autrement - a visiblement soigné le travail. Il a choisi l’emplacement de l’œuvre et prit son temps pour la graver, peut-être même est-il revenu plusieurs fois. La paroi était-elle lisse ou déjà sillonnée de nombreuses bêtes anciennes peu lisibles, pour lesquelles l’exécution comptait davantage que le résultat ?   

 

On pourrait continuer longtemps, énumérer une à une les gravures aperçues, elles se mélangent dans mon souvenir avec toutes celles qu’on ne montre pas mais dont j’ai vu les photographies, les relevés.

Je n’en ai pas moins le sentiment de ne rien comprendre à cette grotte. Puisqu’il n’y a aucune salle, aucun lieu de rassemblement collectif, que venait-on faire là-dedans ? Quelle magie y pratiquait-on ?  Et pourquoi ces différences dans la visibilité des gravures que l’on retrouve dans de nombreux sites, une image publique détaillée, facile à voir, où l’artiste a mis tout son savoir-faire, et d’autres nombreuses, cachées, superposées, mal finies, peu fignolées et peut-être plus importantes dont on saisit mal l’utilité sinon pour un rituel, dont on ne sait pas si elles furent l’œuvre d’un ou plusieurs hommes ni, sur combien de générations le travail s’est étendu.

Bref, dès qu’on agite le spectre de l’interprétation, le penchant naturel de l’explication à tout prix, on est sur le terrain glissant des croyances. Et l’on n’invente plus rien. 1939 Henri Begouën, à la suite de Breuil ; Henri Begouën l’inventeur des grottes des Trois Frères, du Tuc-d’Audoubert, dont la famille veille depuis près d’un siècle sur la conservation d’un patrimoine exceptionnel, bisons d’argiles, parois ornées ; écrit un article dans la revue Scientia sur : « Les bases magiques de l’art préhistorique » où il expose sa théorie sur la superposition des gravures : « C’est que seule l’exécution du dessin ou de la sculpture importait. La représentation de l’animal était un acte qui valait pour lui-même. Une fois que cet acte était accompli, le résultat immédiat et matériel de cet acte, le dessin n’avait plus aucune importance. (…) Lorsque plus tard il était nécessaire de se livrer à une nouvelle opération d’envoûtement, comme ce panneau était considéré sans doute, comme jouissant de vertus particulières, d’un pouvoir spécial, on venait y représenter de nouveaux animaux sans se préoccuper le moins du monde de ce qui avait été fait précédemment. » Pour Begouën, les gravures des Combarelles sont des doubles de l’animal réel (le portrait ayant dans les croyances primitives un pouvoir sur le sujet représenté) l’âme emprisonnée dans la pierre : « (…) il y a la représentation de l’animal qu’on veut tuer. Par cette figuration on s’assure la possession du « double » et par suite de l’animal même. » Cette théorie de la chasse magique sera raillée par le structuralisme de Leroy-Gourhan, mais bien avant que le terme ne fasse fureur chez les préhistoriens, Begouën désignait le sorcier ou le chaman comme coupable d’art préhistorique.

 

On n’invente rien et l’on a toujours tort, le temps se charge de réduire à néant vos courageuses avancées ; votre vanité en prend un coup, vous êtes passé de mode. Vous avez été.

La calcite lentement recouvre les gravures, les protégeant, les isolant ; les Combarelles gardent entier le mystère. Il me reste de Bégouën quelques lignes simplement belles : « Votre lampe, quoique meilleure que le pauvre lumignon dont se servait le magdalénien, n’éclaire qu’une petite partie de rocher, mais projette tout autour des ombres qui peuvent prendre des aspects fantastiques. Le silence est absolu. Seules quelques gouttes d’eau tombent parfois des voûtes et réveillent des échos ; tout mouvement et toute vie ont cessé, si loin de l’entrée (…) »

 

 

Thierry Guilabert



 

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La ballade des grottes ornées
  • Les grottes ornées, l'art pariétal, la préhistoire, de Rouffignac aux Combarelles en passant par tous les sites ouverts au public. Pour ambition une promenade littéraire, un essai de voyage à travers espace et temps...
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